En France, à un rythme quasi hebdomadaire, on a droit à des émissions ou des articles effrayants sur nos enfants intoxiqués par les écrans. Alors concentrons-nous sur une bonne nouvelle: sur les cinq dernières années, la diffusion payée du magazine J’aime lire est en augmentation, selon les chiffres de l’ACPM (l’Alliance pour les chiffres de la presse et des médias, que l’on pourrait rebaptiser «les pompes funèbres de la presse»).
On en vend environ 137.000 exemplaires par mois, contre 122.000 en 2013, et on estime qu’il passe entre les mains de deux millions et demi d’enfants par mois (chiffres Ipsos). Comment expliquer la pérennité d’un magazine s’intitulant J’aime lire et non pas J’aime appuyer sur le bouton central de la tablette?
Il y a quelques années, déjà fascinée par la permanence du succès de J’aime lire en pleine crise de la presse, j’étais allée m’incruster dans la rédac. J’avais caressé le rêve secret de découvrir que la rédaction de J’aime lire était constituée d’ivrognes renversant leur bouteille de whisky sur des piles de best of de Tom-Tom et Nana et faisant des blagues salaces sur la sexualité de Bonnemine.
Bonnemine, dont on notera que l’évolution trahit quand même un gros problème d’usage de stupéfiants.
En réalité, il n’y a pas de journaliste à J’aime lire –peut-être la clé du succès? (Étant moi-même journaliste, j’ai de facto le droit inaliénable de me foutre de la gueule de ma profession.) La majorité des salariées et salariés de J’aime lire vient de l’édition, à l’image de la rédactrice en chef de l’époque que j’avais rencontrée, Marie Lallouet, qui avait auparavant dirigé la Bibliothèque verte et la Bibliothèque rose.
L’actuelle rédactrice en chef, Delphine Saulière, est journaliste de formation, mais elle a également écrit des livres pour enfants, comme plusieurs autres membres de l’équipe que j’avais interrogés et qui étaient eux-mêmes auteurs. Ce qui m’avait le plus frappée en leur parlant, c’est qu’ils adoraient leur boulot et n’avaient pas l’once d’une aigreur.
Pour expliquer le succès de J’aime lire, il y a évidemment la qualité des histoires et des dessins sélectionnés par le comité de lecture. Les histoires sont testées auprès de certaines classes, des orthophonistes sont consultés, le rapport texte/image est extrêmement réfléchi et la narration sait toujours jouer avec le suspens, pour prendre à rebours les enfants.
Bien sûr, il y a le succès des BD. Il est remarquable que la disparition de Tom-Tom et Nana n’ait pas entraîné de chute des ventes –mais Ariol, leur remplaçant, est tout aussi impeccable.
Et puis, il y a l’aspect incontournable. Rappelez-vous, 137.000 exemplaires, plus de deux millions de lecteurs et lectrices. Comment se fait-ce? Parce qu’une classe de primaire digne de ce nom ne peut pas ne pas avoir des J’aime lire dans son coin lecture. Idem pour les bibliothèques. Le titre a réussi à se placer comme une référence dans l’apprentissage de la lecture, tout en respectant le travail de l’école. Dans le dépliant J’aime lire 10 conseils pour un CP réussi, on trouve ce conseil à l’intention des parents: «Faire confiance à l’enseignant». J’aime lire collabore avec l’Éducation Nationale sans prétendre lui faire concurrence.
Autre clé du succès, les petits trucs marketing qui fonctionnent aussi bien que s’ils avaient mis un produit addictif dans les pages pour shooter les gamins. Citons l’encadré sur la première page, pour que l’enfant écrive son nom –un détail qui séduit ces êtres qui aiment posséder les choses pour affirmer leur existence, le marque-page que certes personne n’utilisait jamais, mais qu’on trouvait quand même super, et enfin, la vraie idée de génie: la tranche. Chaque numéro a sur sa tranche un bout de dessin. Quand on a plusieurs numéros et qu’on les range soigneusement dans sa bibliothèque, ils forment une fresque. Personnellement, il m’en manquait un et j’aurais vendu ma mère pour le récupérer. On n’achète pas un J’aime lire, on les collectionne jalousement.
Mais la plus grande force deJ’aime lire, la raison à mon avis de l’augmentation de ses ventes, c’est nous, les anciens lecteurs et lectrices, aujourd’hui parents ou potes de parents. Depuis plusieurs années, les parents qui abonnent leurs enfants ont eux-mêmes lu J’aime lire et souhaitent leur partager ce bonheur nostalgique. Vu la mode actuelle de racheter les jouets Fisher Price des années 1970 et 1980 (oui, c’est une vraie mode, allez regarder ces rééditions), on imagine bien qu’un magazine comme J’aime lire profite largement de ce statut de pont intergénérationnel.
D’ailleurs, Bayard l’a bien compris. On peut commander des vieux exemplaires, avec impression à la demande, et ils ont publié un numéro collector compilant les dix romans les plus inoubliables –avec évidemment l’une des histoires les plus célèbres, «Le mot interdit». Parce que certains J’aime lire nous ont marqués au point de vouloir les retrouver pour les faire lire à nos enfants.
À l’occasion des quarante ans du magazine l’an dernier, Bayard a également lancé un site spécial qui nous ramène dans notre enfance –d’ailleurs, si vous avez des J’aime lire dont vous ne savez que faire, vous pouvez me les envoyer à Slate, c’est pour ma collec’ (sérieusement).
Ceci étant, dans la catégorie pont intergénérationnel, J’aime lire poutre Fisher Price. Du côté des parents, il a plusieurs forces. D’abord, l’aspect valorisation de la lecture, décisif quand on nous annonce que notre progéniture saura à peine lire et écrire. Mais surtout, on a l’impression de partager un bout de notre enfance avec nos gamins, et ça, ça nous rassure. Ils grandissent dans un monde dont on n’est pas bien certain qu’il soit sur les bons rails, un monde qu’on ne comprend pas toujours, alors les voir plongés dans une chose qu’on connait, c’est reposant. Et puis, on se valorise de jouer un rôle de transmission.
Du côté des enfants, ils ont leur magazine à eux, qu’ils peuvent s’approprier. Un magazine qui ressemble à celui que lisaient leurs parents, mais qui n’est pas tout à fait le même, ne serait-ce qu’au niveau du graphisme. Un magazine qui n’est pas fait pour faire plaisir aux parents nostalgiques, mais qui s’adresse aux enfants du XXIe siècle.
Peut-être que dans trente ans, nos enfants devenus parents commanderont à leur tour cette histoire pour la partager avec leurs propres enfants. En réalité, marque-page ou pas, l’avenir de J’aime lire sera assuré tant que l’on éprouvera le besoin de partager les premières histoires qui ont imprimé une marque indélébile dans nos esprits.
Les enfants de 68
Un article touchant sur les enfants de celles et ceux qui ont fait Mai 68, et plus largement qui ont milité ces années-là. Beaucoup ont été blessés de constater qu’ils passaient après l’engagement politique de leurs parents. Nombre de ces couples se sont séparés, et les enfants ont ensuite vécu avec des mères célibataires qui n’avaient pas trop de moyens financiers. L’article ne s’intéresse pas qu’aux enfants des «stars», mais à un panel plus vaste. La plupart ont eu du mal à trouver leur place dans une société qu’on leur avait appris à critiquer en permanence.
À lire aussi sur Slate
Un article qui joint mes deux passions: les toilettes et l’école. Parlons des toilettes à l’école. Pour la première fois, un ministre de l’Éducation nationale a abordé le sujet (je n’avais jamais pensé aux nouveaux problèmes posés par les portes de chiottes qui ne vont pas jusqu’au sol: les gamins peuvent passer leur téléphone en-dessous, pour prendre des photos de la personne aux toilettes). L’une des solutions serait peut-être de faire nettoyer les toilettes par les élèves –à titre personnel, je suis pour que tous les élèves soient impliqués dans les tâches ménagères à l’école, ça me paraît faire partie de l’éducation.
Est-ce que vous vous souvenez de la série Roseanne? Ça passait sur M6 quand j’étais petite, et j’adorais cette série. Elle mettait en scène une famille d’ouvriers cyniques et hyper drôles. Joss Whedon a d’ailleurs écrit plusieurs épisodes. Bref, la série a été relancée, et l’héroïne éponyme est devenue une partisane de Donald Trump. Mais est-ce que cela reflète vraiment la société américaine?
Comme la plupart des auteures et auteurs, je me sens mal à l’aise de me plaindre de mon statut, parce que déjà, on a tellement de chance de vivre de l’écriture. Il n’empêche qu’on a un statut à chier. En fait, on n’a pas de statut. On n’est pas indépendant, on n’est pas intermittent. On n’a droit à quasi rien. Le 22 mai, il y aura les États généraux du livre, et on espère que notre ministre va se bouger et proposer une réforme en écoutant les personnes concernées. J’espère aussi que les éditeurs vont faire pression, parce que pour l’instant, on ne les entend pas. Bref, voilà une BD qui résume la situation de façon très simple:
Rien à voir mais vous serez heureuxes –c’est plus court comme ça– d’apprendre que le mystère des pieds humains avec des chaussures de sport a été résolu. Au Canada, depuis des années, des promeneurs trouvaient des pieds humains coupés au bord de l’eau. On en était quand même à quatorze. On pensait que c’était l’oeuvre d’un serial killer fétichiste, mais pas du tout! En fait, ils appartiennent à des personnes suicidées ou des accidentées. Post mortem, les pieds se sont détachés des corps, et quand ils sont dans des super chaussures de sport qui flottent, eh bah on finit par les retrouver.
J’ai commencé ma semaine en me bidonnant comme une grosse otarie grâce à une chronique de Matthieu Noël –qui est toujours aussi doué. Cette fois, il s’agissait d’une interview de l’ambassadeur iranien. Celles et ceux qui vont dire que c’est méchant de se moquer d’un accent, je rappelle qu’il s’agit d’un ambassadeur, alors on a le droit de glousser (je viens de la réécouter et j’en ris encore).
Conseil culture
Tom Wolfe écrivait merveilleusement bien. Il avait une capacité de description extraordinaire. Alors si vous n’avez pas lu Moi, Charlotte Simmons, mettez-le tout de suite dans votre liste de lecture pour cet été. C’est l’histoire d’une jeune fille innocente qui débarque dans une fac de prestige, et c’est génial.